L’Évangile a casa 153: Lc 5, 1-11

L’Évangile a casa 153: Lc 5, 1-11

Trois renversements de situation ! Subtilement, Jésus détricote trois « acquis », pour ne pas dire convertit ses auditeurs – à moins que ce ne soit l’Evangéliste qui ne le fasse pour ses lecteurs et lectrices – afin d’entamer sa mission en compagnie de Pierre, André, Jacques et Jean.

Lui, au milieu de la foule versatile – qui lui criera Hosanna puis Barabbas !! – prend de la distance. Distance pour mieux se faire entendre, depuis la barque, puisqu’Il continue à parler. Mais, en étendant un peu la voilure, Jésus se distance de cette foule d’attentes, de demandes, de piété aussi – les guérisons attirent – voire d’acquis et de savoir, de coutumes et de « on a toujours fait comme ça ». Pour mieux se faire entendre. Que leur dit-Il alors depuis la barque ? Aucune trace.

Puis Jésus dit un truc insensé : Avance au large et jetez vos filets ! A des pêcheurs invétérés, on ne la fait pas : non, après une nuit bredouille, on ne part pas à nouveau en plein jour, et surtout que les filets sont encore sales, puisque les gars « lavaient leurs filets ». Certainement avec la mauvaise humeur des mauvais jours…

Et Jésus, l’incapable – Il ne s’y connaît pas en pêche, charpentier de métier ! – leur demande l’impensable, l’irraisonnable, l’insensé. Et Pierre, sur les mots de Jésus – dont il ne pense pas moins…– obéit, c’est-à-dire écoute ce fou ignare de l’art de la pêche. Qu’est-ce qui a mu Pierre pour s’exécuter ? L’envie de démontrer à cet imbécile qu’Il a tort, et qu’Il devrait plutôt se cantonner à ce qu’Il sait faire ? L’envie de réessayer encore une fois ? Ou se dégageait-il de Jésus un je-ne-sais-quoi d’attirant, suffisamment pour qu’on se laisse toucher quand même ? Quoi qu’il en soit, Pierre s’exécute. Qu’il est bon de voir que parfois, oser l’insensé, tenter l’irraisonnable, quitte à outrepasser les règles de bienséance, de « bien-faisance », de la coutume voire de la Loi, peut se révéler fructueux !

Enfin, Jésus, une fois l’effet de cette pêche abondante sur les pêcheurs redescendu un peu, fait à l’envers : normalement, c’est le disciple qui se choisit son maître. Là, c’est Jésus qui se choisit ses disciples, qu’Il envoie – apostolos, d’où apôtres – pour une mission semblable sur la forme – pêcher – mais bien autrement finalisée : « attraper des hommes » !

Même la peur de Simon est renversée : « Désormais… » Oui, là où on pourrait se sentir indigne de Dieu – et des siècles de culpabilisation du fidèle lambda n’ont pas encore été totalement effacés ! –, là où comme Pierre, on s’éloigne du Christ « car je suis un homme pécheur », Jésus renverse la situation et affirme : Cesse de te centrer sur ton nombril et ta conscience mal éclairée ; laisse-toi pétrir du levain nouveau que j’enfouis dans ta pâte humaine, et laisse lever, sur MA Parole !

Oui, tout renversement pour une chrétienne ou un chrétien, tout retroussement de situation, toute conversion en somme, exige un décentrage de soi pour se focaliser sur Lui qui choisit, appelle, commissionne et envoie sans autre raison que l’envie de nous voir collaborer à la pêche. Son envie devrait du coup déclencher chez l’écoutant de la Parole l’envie de Le suivre…

Thierry Schelling