L’Évangile a casa 159: Luc 15, 1-3.11-32

L’Évangile a casa 159: Luc 15, 1-3.11-32

« Un homme avait deux fils. » Seule cette phrase suffit pour se rappeler de la suite quasiment par cœur. La parabole dite du Fils prodigue, archi-éculée par des siècles de catéchisme et de catéchèse du pardon, de la réconciliation, de la confession, du repentir…

Et pourtant. Piège ! Car ce n’est pas « du Fils prodigue » mais « du Père miséricordieux » dont nous devrions parler… Et ne jamais oublier que cet « homme » avait « deux fils », un cadet et un aîné.

Un père miséricordieux. Il y a deux façons de par l’attitude de ses deux fils de « faire avec » la miséricorde du Père : celle du cadet, et celle de l’aîné. Et comme souvent, dans les paraboles, nous sommes un peu des deux, de chacun.

Le cadet, d’abord : il reçoit sa part égale. Ou mieux, « le père partagea ses biens. » Toute une musique ! Dieu partage ses biens avec tous… derniers (arrivés, comme un cadet) ou premiers (comme un aîné). D’ailleurs, les « derniers devenus premiers » là aussi marche : c’est l’histoire d’abord du dernier qui nos est narrée…

Organisé mais décidé (« peu de jours après »), il part « pour un pays lointain. » Comme si, parfois, devant la largesse sans fin de Dieu qui partage tout ce qu’il a, on peut réagir par…un effroi, une mise à distance, qui peut aussi être positive : « les voyages forment la jeunesse », et partir au loin est une belle façon de dire que quand Dieu donne, c’est pour rendre complètement libre ! Et, comme souvent aussi, patatras : « il dilapida sa fortune »… Au lieu de se servir pour « ordrer sa vie » (on dirait Ignace de Loyola…), le jeunet dépensa tout, « désordonnant » sa vie, désorientant son existence – perdre l’orient… Le but ? La finalité ? Il n’a plus de raison de vivre. Et son « capital Dieu » est épuisé… Du moins le pense-t-il. S’en suit la scène d’introspection, de remontée de la pente de l’humus à l’humide, du sol foulé par les pieds de porcs aux (probables) larmes du père plus qu’enthousiaste de le retrouver vivant ! Et on connaît la fin, ou plutôt l’étape de la réconciliation spontanée, immédiate, complète, festive de la part du père qui, par son « manque » de remontrances (on aurait pu s’y attendre quand même…) passe à l’étape du « maintenant » : tu es là, bien vivant, et j’exulte de joie, point, barre ! Le passé est passé, passif…

Quant à l’aîné, « tu es toujours avec moi », dit le père. Et il l’avait oublié : il avait oublié que l’essentiel de la relation Dieu-humain, ce n’est pas le service, le travail, l’action – « il y a tant d’années que je suis à ton service ! » et on sent l’accent mis sur le tant – que le père apprécie d’abord, mais c’est l’être « toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi »… Epoustouflant ! Dieu est à moi, toujours, avec moi, toujours, et ne réjouit d’abord que je jouisse à mon tour de ce « toujours avec », « tout à toi » sans mérite, effort, transaction…

Deux façons de se comporter vis-à-vis de l’amour de Dieu inconditionnel : par paliers d’évolution (cadet) ou par réitération (aîné). Mais tous les deux grâce à la relecture de son agir. Pour découvrir que l’amour de Dieu ne se quémande pas, ne se réclame pas, ne se mérite pas non plus, n’est pas le fruit de nos efforts mais uniquement d’une gratuité absolue, illimitée et intarissable dont seul Dieu est capable !

Thierry Schelling