«…pour avoir… »
Tout le drame de notre religion – de toute religion ? Confondre avoir avec être, ou plutôt devenir. Le jeune homme qui accourt à Jésus veut « avoir la vie éternelle en héritage. » Et ce qui l’alourdit, justement, c’est son avoir : « il avait de grands biens. »
Plus déconcertant encore, « il avait tout bon ! » De nouveau, « avait »… Dieu se possède-t-il ? Notre salut s’achète-t-il ? Hélas, l’histoire de l’Eglise institutionnelle fourmille d’exemples où l’avoir a motivé déclarations, décrets, condamnations, soumissions…
« Plus dur pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille que pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » ; sublime image parlante au travers des siècles – enfin, si l’on connaît le chameau (merci au cirque Knie !). Notez : passer par le chas pour un chameau, c’est possible, mais difficile ! Donc même aux possédants, aux possesseurs, aux « ayants », le Royaume est accessible. Mais plus difficilement. Comme pour qui grimpe en montagne avec son sac à dos plein, en compagnie d’un autre, fleur aux lèvres, bâton en main, et dos libre…pas le même rythme, allure, plaisir.
Notez également que « Jésus l’aima », ce jeune qui conclut son dialogue avec Lui par « tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse ». Jésus le regarde alors. D’un regard qui aime, qui approuve aussi, qui conforte. Mais qui n’enferme pas : « Il te reste encore une seule chose » ou plutôt : il te manque ». C’est dans l’interstice du manque, dans l’entrebâillement d’un vide, que Dieu s’immisce, s’insère, trouve une place – Lui qui, naissant, chercha une place au caravansérail, plein, qui ne put L’accueillir ; Lui qui, au contraire des renards n’a aucun terrier ! Cette fente, si infime soit-elle, peut faire toute la différence.
Mais Jésus de rappeler : « Le salut est impossible à l’homme » ! Heureusement. C’est l’œuvre de Dieu, d’un partenariat avec le Christ basé sur la gratuite amitié, l’aimante fréquentation de Sa Parole et l’envie de s’en laisser inspirer, qui fonde notre foi. Notre religion. Sur le devenir lorsque nous vivons la paire avec Dieu… Et rien d’autre ! Ni indulgence, ni marché, ni promesse bilatérale, ni marchandage, ni contrat.
Dieu s’offre, et tu prends, ou pas. Qui plus est, suivre le Christ se décide en conscience: et le signe qu’on est sur le juste chemin, c’est la liberté avec laquelle on se détache de ce dont on se détache : « maison, frères, sœurs, mère, père, enfants, terre » ; de tout ce que l’on pourrait croire avoir…pour découvrir qu’ils et elles sont dons, transitoires, passagers, mortels. Et qu’être avec elles, eux, vaut mieux que de les avoir en poche pour toujours…
Thierry Schelling