« Aimez vos ennemis! » Par deux fois, Jésus insiste, encadrant même sa tirade par cet oxymore : contradiction en soi, aimer et ennemis…
Plein de verbes à l’impératif dans ce texte ! C’est le commandant en chef qui parle à ses troupes ! Jésus ordonne que nous, ses disciples, « nous qui l’écoutons », comme dit Luc, nous nous démarquions de l’habitude ambiante quant au comportement humain, et qu’on pourrait résumer par la maxime « œil pour œil, dent pour dent » !
Et la barre est haute : les ennemis que sont « ceux qui vous haïssent, maudissent, calomnient », qui sont ceux qui te frappent, prennent ton manteau (voleur ?), au lieu de les réduire en bouillie, de leur rendre selon la loi du talion, c’est l’amour que demande Jésus. Oh, pas le feeling des chansons françaises, bien sûr, mais une attitude différente de celle « des pécheurs ». Où l’on n’espère rien en retour… Ignace de Loyola a un mot pour cela : l’indifférence. Non pas le m’enfoutisme, mais bien la bonne distance envers autrui : « Tout faire comme si tout dépendait de moi et rien de Dieu, et tout vivre comme si tout dépendait de Dieu et rien de moi. »
Etrangement, le « ce que vous voulez que d’autres fassent pour vous, faites-le-leur » – ou, dit autrement, « la mesure dont vous vous servez pour autrui servira de mesure pour vous » – est la mesure avec laquelle s’exercer : donc, apprendre à demander à autrui, recevoir d’autrui sans se sentir obligé de rendre, ne pas juger, ne pas condamner, pardonner, voilà la « mesure bien pleine » par laquelle commencer sa conversion vers cet amour de l’ennemi.
Dieu le Père est évidemment la source de cette nouvelle façon de se comporter envers autrui – Lui, le Dieu rejeté, abusé, houspillé, utilisé pour la haine, la guerre et l’ostracisme. Jésus incarne pleinement ce revers d’attitude : Il a aimé ses ennemis, Il a fait du bien à qui le haïssait et le maudissait ; Il s’est laissé frapper et prendre son manteau le Vendredi Saint ; Il a guéri qui le demandait, Il a semé la Bonne Nouvelle sans réclamer un dû ; Il a fait du bien en étant non pas gentil mais juste et bon pour les ingrats et les méchants; Il a agi (presque) sans espérer de retour (« Génération perverse ! », « Génération stupide ! », « Génération qui ne comprend rien ! »), apprenant aussi le lâcher-prise.
Par contre, Il a jugé, dénonçant l’hypocrisie des Pharisiens par exemple – mais il le pouvait, Lui, le Juge parfait ! Il a condamné qui s’en prenait aux tout-petits, leur promettant une mort par noyade ! Mais il le pouvait, Lui, l’Avocat des pauvres ! Il a pardonné jusqu’à ceux qui le clouèrent ! Mais il le pouvait, Lui, le Sauveur de toute l’humanité.
En chemin vers cette perfection divine, chaque obstacle peut être une occasion de grandir à l’envergure de la miséricorde de Dieu, c’est-à-dire à l’infini !
Thierry Schelling