La pauvre… Si on ferme les yeux et essaye de s’imaginer la scène, en écoutant les voix, les bruits, en respirant la poussière, en sentant la lumière de l’aurore réchauffer lentement les peaux…on ne peut être que saisi par le drame qui se joue devant les yeux de Jésus, assis : ce matin, une femme va mourir parce que la Loi de Dieu l’a décrété. Et avec elle, ceux qui la défendent… enfin, prétendent la défendre car tout le propos de ces menaces est « de le mettre à l’épreuve », Lui, Jésus. « Afin de l’accuser. »
Donc, appliquer la Loi n’est pas leur but premier ; c’est piéger Jésus qui les motivent et pour cela, « une femme adultère » est un prétexte. Pire, ils s’amusent indirectement de son statut : assis, Jésus fait autorité – les enseignants étaient assis traditionnellement – et justement, il enseigne « le peuple ». Ils l’appellent « Maître », « didaskale », pas « rabbin »… Eux, debout, se positionnent en supériorité maligne (car piégeuse) face à cet homme assis… Ils ouvrent un dialogue – « toi donc, que dis-tu ? » – mais pas pour échanger des points de vue : pour l’accuser… Où est le véritable adultère du coup ? N’est-il pas chez ces scribes et Pharisiens vis-à-vis de la Loi et de leur façon de la tordre « pour tuer Jésus » ?
Quid de la femme ? Pas un mot… Elle doit être terrorisée, elle est immobile et muette, voyant sa dernière heure venue, alors que c’est le matin. Ah, tiens, le matin – « dès l’aurore » –, une femme, Jésus… un écho à ce matin de Pâques où Marie la Magdaléenne et Jésus se rencontrent à nouveau ? Peut-être… Il y a donc espoir au moins pour le lecteur, la lectrice, qui connaît Son évangile…
Jésus, par deux fois, « écrivait sur la terre ». Qui ? Nul ne sait… Ecrire du doigt de Dieu dans le roc, c’était l’image du temps de Moïse et des 10 Commandements « gravés dans la pierre ». Une façon de dire que Jésus récrit la Loi, non plus sur le roc, incassable (ou presque), mais sur la terre, friable parce que « contextuable », mais qui tient nos êtres droits et leur permet de vivre ? Le but de la Loi de Dieu ? Peut-être…
De remontés, ces scribes et Pharisiens repartent silencieux, introspectifs, « en commençant par les plus âgés. » C’est dire si leur interprétation de la Loi avait besoin d’un coup… de jeune ! Et de jeûne ? Car le silence de Jésus reconstruit lentement cette femme au précipice de sa vie. Puis cette question, futée et presque dite avec un sourire complice (du moins aimé-je à l’imaginer ainsi) : « Où sont-ils ? » Oui, vraiment, où sont-ils, maintenant qu’ils sont partis ? Et elle, elle sait où elle est : au milieu de la miséricorde de Dieu, en face de Jésus (et non pas plus bas ou plus haut), et missionnée : « Va ! » Qui plus est, cette femme reparle : « Personne, Seigneur. » Il n’y a plus rien, ni âme qui vive, si ce n’est toi : comme sur le mont de la Transfiguration – « Jésus était là, seul » face aux disciples éberlués – et comme un matin de nouvelle création ex nihilo : « Va, vis, et deviens »… en évitant rater ta cible, cette fois-ci !
Thierry Schelling