Et Jésus se convertit !
Mais il commence par vilipender : « Cet étranger », pardon « que cet étranger »… On aurait tendance à trouver Jésus un peu… snob, non ? On relit et on constate que c’est sur la guérison que se pose la question de Jésus, comme s’il eût un doute soudainement… Pas tous n’auraient été guéris ? Je ne sélectionne pas dans un groupe choisi qui bénéficierait de mes bienfaits. Les Douze ont été aimés du pareil amour, et se sont vu confier les mêmes ministères de guérison et d’exorcisme. Qui plus est pour 10 lépreux : Jésus s’attend à les guérir TOUS.
Et ils le sont. Sauf qu’un seul entre en relation de gratitude avec Jésus, et pas juste de client. Il revient et remercie. On imagine la nouvelle vie qui s’offre à lui : parmi les siens à nouveau, parmi le village ou la ville d’où il avait été ostracisé à cause de son mal contagieux, parmi les fidèles à la synagogue où il va faire taire les quolibets à son égard – sa lèpre devait bien être la marque pécheresse de son ascendance…
Sa nouvelle vie commence par rendre grâce, il « eucharistie » (le verbe grec utilisé pour « rendre grâce »)… alors qu’il est Samaritain ! Il faut rappeler l’inimitié crasse qui « unissait » Judéens et Samaritains – habitant pourtant le même coin de terre, même si ceux-ci étaient plus au nord que ceux-là – antipathie qui remontait au retour de l’Exil, soit au 6e siècle avant Jésus-Christ ! Six siècles de rancunes, de rancœurs, de détestation, de regard en chien de faïence… Jésus, Judéen, a participé au début de sa vie d’enfant, d’ado et peut-être même d’adulte, à ce regard biaisé sur ces voisins détestables. Avant de vivre la conversion : les Samaritains sont aimés du même amour par Dieu Son Père, ils ont leur place dans le plan de Dieu de « sauver toutes les nations » en y envoyant Son Fils unique. Les Evangiles, de Marc (le plus ancien) à Jean (le plus récent), parlent des Samaritains, en crescendo – relisez le bouleversant dialogue avec la Samaritaine chez Jean 4. Et cette osmose avec eux va se traduire ainsi : Jésus lui-même se fera traiter de « Samaritain » par ses dénigreurs et opposants. Oui, Jésus a endossé l’habit des détestés, des mis au ban, des jugés, des pestiférés – symbolisés par le personnage du lépreux dans les Ecritures – pour annoncer : nous sommes sœurs et frères, et ce sont nos conventions religieuses, idéologiques, culturelles, sectaires, nos préjugés et aprioris, nos visions viciées de l’autre, qui en font un lépreux… Or, ce rejeton, c’est Jésus lui-même !
Thierry Schelling