Sur Marc 10., 35-45
Le 22 novembre 2020, à l’occasion de la fête du Christ-Roi, Mgr. Aupetit, ancien archevêque de Paris, au lieu de commencer son homélie en saluant l’assemblée par un « Chers frères et sœurs », préféra s’adresser à eux en les gratifiant du titre de « Majestés » !
Cette salutation voulait signifier la grâce du baptême par lequel nous sommes marqués du sceau du Christ. Son intention était de nous faire réfléchir sur la position que nous avons aux yeux de Dieu, sur la manière dont Lui nous considère dans notre aujourd’hui.
Ce regard du Père sur nous est à prendre comme une encre d’espérance déjà jetée et amarrée dans son royaume céleste. C’est une encre à laquelle tout enfant de Dieu peut et doit s’attacher ferment pour tenir ferme dans la foi et progresser sur la voie royale qui mène à bon port.
Si être appelé « majesté » peut décontenancer et sembler exagéré pour certain, c’est pourtant là une vérité théologique et une réalité que nous enseigne la parole de Dieu et donc le Christ lui-même.
Paul l’a bien compris puisqu’il nous dit que, premièrement, le Christ nous fait entrer dans la vie par sa résurrection et le don de son esprit et qu’ensuite, il nous fait siéger avec lui dans les lieux célestes, nous rendant, dès à présent, participant de son règne et de sa royauté (Ep 2, 6).
Nous sommes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, nous dit Pierre (1 Pi 2, 9), nous sommes un royaume et des prêtres pour le Père, renchérit Saint-Jean (Ap 1, 5-6).
Nous sommes donc bien appelés à être, dès à présent : royaume de Dieu sur cette terre. S’il est vrai que nous sommes encore en devenir, en chemin et que nos lourdeurs et faiblesses humaines nous empêchent d’être pleinement manifestés aux yeux du monde, cela ne change rien à ce que nous sommes.
Connaissez-vous cette chanson qui dit : Si vous êtes ce que vous devez être, vous mettrez le feu au monde entier.
Être, ou devenir ce que nous sommes n’est pas ce que Paul appelle « travailler à notre salut » ? (Ph 2; 12).
A la question qui semble bien légitime de savoir si nous sommes vraiment dignes de toutes ces prérogatives, il y a deux réponses.
La première de ces réponses considère notre état d’hommes et de femmes avec toutes nos fragilités, toutes nos blessures qui font que, bien souvent, nous sommes quelque peu dysfonctionnels, admettons-le. Nous tendons bien de tout notre cœur à la sainteté et à la charité que nous inspire l’amour de Dieu, mais nous constatons sans peine que nous en sommes bien loin. Nous disons alors comme Paul, je fais le mal que je ne veux pas faire et je ne fais pas le bien que je voudrais. Donc, à vue humaines, nous ne pouvons absolument pas prétendre à nos titres de gloire.
Une foi cette évidence établie, nous pouvons maintenant nous intéresser au point de vue de Dieu et à sa manière à lui de nous voir.
Et nous voyons que premièrement, il nous considère comme ses enfants : « Mais à tous ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » Jn 1, 12
Deuxièmement, « Si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ » nous dit Paul (Rm 8, 16-17)
Troisièmement, en recevant l’esprit du Christ, nous sommes devenus le temple de Dieu, rien de moins que ça ! (1 Cor 3, 16)
Quatrièmement, nous sommes ceux sur qui Dieu compte pour porter la lumière au monde et donner le goût de la vraie vie aux hommes, puisque Jésus nous dit que nous sommes la lumière du monde et le sel de la terre (Mt 5, 13-14).
On pourrait, comme ça, allonger encore la liste, mais cela suffit pour nous dire comment le Christ nous voit. Il nous voit comme des êtres sauvés par sa grâce, et sa grâce uniquement. Il n’est pas ici question de nos mérites et heureusement.
Il y a pourtant un titre de gloire qu’il me tient encore à cœur de vous partager.
Est-ce que vous connaissez l’organisation « Portes Ouvertes » fondée par frère André ? Pendant la guerre froide, cette organisation avait notamment pour mission de passer en fraude des bibles dans les pays où celles-ci étaient interdites. La plupart du temps, le passage se faisait en voiture et l’arrivée en douane était un moment particulièrement « flippant ». Les passeurs qui se faisaient attraper risquaient tout simplement la prison pour un bon moment.
Un jour, un de ses contrebandiers de bibles se présente donc à la douane. Lorsque vient son tour, un douanier lui demande de décliner son identité et la raison de son voyage. Alors, plutôt que de donner une réponse commune, il répond calmement : « Je suis un ambassadeur. » Cette déclaration surprend le douanier, qui pense qu’il s’agit d’un ambassadeur officiel, lié à un gouvernement étranger. La voiture ne sera pas fouillée et passera librement la frontière.
L’homme n’a pas menti dans sa réponse : il s’est référé au passage de 2 Corinthiens 5,20 où Paul dit que les chrétiens sont « ambassadeurs pour Christ ». En employant ce terme, il affirme ainsi son identité spirituelle, ce qui le place sous la « protection » de cette mission, en quelque sorte. Il est là pour représenter le Royaume de Dieu, et non pour servir des intérêts politiques ou économiques.
Voilà à mon avis, une bien belle et audacieuse façon de s’approprier ce que Dieu nous donne d’être.
Tout cela nous conduit logiquement à une dernière question : comment régner avec le Christ aujourd’hui ? Car c’est bien aujourd’hui, qui nous intéresse, n’est-ce pas ?
Eh bien nous avons de la chance, parce que l’évangile de ce jour nous présente justement tout ce que nous devons savoir sur la manière de régner en cohéritier de Jésus et donc, en similitude de royauté. Cette manière peut surprendre, comme elle a surpris Pilate qui, devant Jésus, s’exclama : Tu es donc roi ?
Pour Pilate, c’était loin d’être évident. Où sont tes signes du pouvoir qui accompagnent les rois de la terre ? Où sont ton sceptre, ta couronne, ton armée, ton palais et ton trésor ? Pilate ne comprendra pas, car ici, tout est inversé. La puissance de Dieu n’est pas celle des hommes, mais elle s’épanouit dans la faiblesse de l’amour désarmé et désarment, comme le dit la préface des martyrs : « c’est ta puissance qui se déploie dans la faiblesse quand tu donnes à des êtres fragiles de te rendre témoignage ».
De la croix, Jésus fait son sceptre, sa couronne est faite d’épine et non pas d’or, son armée est constituée de tous les boiteux de la terre dont il fait également son palais et son trésor. « Venez, les bénits de mon Père, le royaume des cieux est à vous ». Oui, le Père nous donne son royaume pour que nous y régnions, à sa manière. Et sa manière, nous la connaissons, c’est la manière du serviteur, car, dit Jésus, je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir.
Nous avons ici toutes les caractéristiques de notre roi et nous ne pouvons pas l’honorer autrement qu’en adoptant la même attitude, celle du serviteur, doux et humble de cœur.
La venue du royaume de Dieu que nous demandons chaque jour dans la prière du Notre Père ne viendra pas sans nous, sans notre participation de petit Christ, de chrétien, pas plus que la volonté de Dieu ne sera faite si nous n’endossons pas notre rôle d’ambassadeur du Christ.
Puisque nous voulons honorer aujourd’hui, et par toute notre vie, le Christ-Roi, alors, honorons-le en régnant avec lui, à sa manière.
Amen !
Deni Fornerone, diacre