(Isaïe 45, 1.4-6, psaume 95, 1 Timothée 1, 1-5b, Matthieu 22, 15-21)
«Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.» Mais que rendre à César et que rendre à Dieu? Que rendre au temporel, que rendre au spirituel?
Et si, dans nos vies, les choses n’étaient pas si tranchées? Si le temporel et le spirituel étaient mêlés? Si nous rendions à César ce qui est à Dieu, faisant de lui une divinité, et rendions à Dieu ce qui est à César, le réduisant à un rôle utilitaire? Si c’était chaque jour qu’il fallait faire la part des choses?
Le texte de ce jour suit chronologiquement, dans l’évangile de Matthieu, ceux que nous avons entendus ces derniers dimanches. Jésus est monté à Jérusalem et le voilà dans le Temple. La tension croît, l’étau se resserre sur lui. Ses ennemis, les pharisiens, hostiles au pouvoir d’Hérode, et les partisans d’Hérode s’allient pour le faire condamner. Ils lui tendent un piège sous forme de question: «Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur?».
Dans leur logique, Jésus est coincé: s’il répond non, il incitera ses compatriotes à refuser de payer l’impôt dû à l’occupant romain, et il sera considéré comme un révolutionnaire; s’il répond oui, il sera vu par le peuple comme un collaborateur de l’occupant romain et perdra toute chance d’être reconnu comme le Messie. Dans un cas comme dans l’autre, Jésus ne sera plus crédible, donc considéré comme un imposteur et condamné à mort.
Le piège est parfait pour ses adversaires… sauf que Jésus a une autre logique. Pour lui, il ne s’agit pas d’une question d’équilibre: donner plus à César, ce serait donner moins à Dieu et inversement. Non. Mais d’une question de mesure et de service.
Pour Jésus, rendre à César ce qui est à lui est juste: c’est apporter sa pierre à la construction de la société. Payer nos impôts, voter, c’est contribuer au bien-être de tous, c’est agir pour améliorer le vivre-ensemble. Et cela est important.
Chrétiens, nous ne pouvons nous dispenser de nous engager dans le monde, par notre argent et nos compétences. C’est là que nous avons à donner notre témoignage, à incarner notre foi pour qu’elle ne reste pas purement spirituelle, hors-sol, sans prise sur réel.
Dieu nous demande de nous risquer dans le monde pour annoncer sa Parole et partager son pain. Car le Royaume de Dieu se construit dans les actes et les paroles de notre vie quotidienne.
Mais César n’est pas tout. César n’est que César. S’il nous attire souvent dans ses filets, nous capte par ses mirages, il n’est qu’une partie du monde. Alors gardons-nous d’en faire un maître. Travaillant pour lui, nous avons à l’orienter vers Dieu.
La première lecture de ce dimanche et l’Ancien Testament nous le disent: tout pouvoir vient de Dieu. Alors oui, puisque l’effigie et l’inscription figurant sur la pièce de monnaie sont de César, rendons-lui ce qui lui appartient, sachant que son pouvoir lui est donné par Dieu, qu’il est à son service.
Isaïe l’affirme avec force dans la première lecture: «Je t’ai rendu puissant alors que tu ne me connaissais pas, dit le Seigneur au roi Cyrus, pour que l’on sache, de l’Orient à l’Occident, qu’il n’y a rien en dehors de moi. Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre».
Alors, que rendre à Dieu? Ce qui porte son effigie. Et qui porte l’effigie, l’image de Dieu? Le Christ, dans lequel nous sommes invités à reconnaître son envoyé: «Tout est à vous; mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu» dit saint Paul aux Corinthiens. Et l’être humain. Souvenons-nous du livre de la Genèse: «Dieu dit: ‘Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. (…) Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa».
Ainsi, rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est faire en sorte que tout serve l’humain, le temporel et le spirituel, l’extérieur et l’intérieur; c’est rendre à tout être humain sa dignité, sa liberté et sa responsabilité. Payer ses impôts, voter, oui, mais dans un esprit de service. Prier, aider celles et ceux qui sont dans le besoin, oui, mais dans une présence au monde vivifiante et libératrice.
Nous pouvons prendre exemple sur Mgr Oscar Romero, archevêque de San Salvador, assassiné le 24 mars 1980 alors qu’il célébrait la messe. Il «a quitté les certitudes du monde, et même sa propre sécurité, pour donner sa vie selon l’Evangile, aux côtés des pauvres et de son peuple», a dit le pape François dans son homélie pour sa canonisation, le 14 octobre 2018.
Tout en assumant ses responsabilités, Mgr Romero a évolué: de conservateur, il est devenu «l’archevêque des pauvres», «la voix des sans-voix», dénonçant la violence qui minait son pays et réclamant le respect des droits humains et de la justice sociale. Il s’est engagé pour bâtir une société selon le cœur de Dieu.
L’évangile de ce jour nous renvoie à nous-mêmes. A nous de faire la part des choses, de discerner ce que nous rendons à César et ce que nous rendons à Dieu. Sachant que César et Dieu sont liés, que le temporel et le spirituel se complètent. Alors servons l’un et l’autre pour le bien de tous. Dans la conscience que tout pouvoir vient de Dieu.