L’Eau

L’Eau

Par Michel-Félix de Vidas

Bien avant que la mer ne soit un lieu de bravade, pour les explorateurs de la Renaissance, elle a longtemps suscité l’effroi. Toutefois, les thèmes de la tempête, du déchaînement des flots, des monstres qui se dissimulent dans ses abysses et celui des errances sans fin, créent des thèmes littéraires et iconographiques. La mer, espace de mortalité, était l’objet de terreurs réelles et indicibles dès l’origine, car l’eau tempétueuse est l’un des premiers modèles de la frayeur universelle.

Au Moyen âge, aucun cliché n’est plus évocateur que le modèle de la « nef dans la tempête». Aucune aventure authentique ou allégorique dans la vie de nombreux saints n’est plus représentée sur des miniatures, des vitraux ou des bas-reliefs d’églises que la péripétie d’une navigation tumultueuse.

A cette époque, la nature était un vivier de symboles, principalement la mer, allégorie d’un monde inconstant, la mer agitée incarnant la complexité et les périls du monde. Une embarcation rapproche les espaces séparés par les flots. Le passage d’une rive à l’autre, évoque le franchissement d’un monde à un autre. Le bateau est donc un élément de transition entre les vivants et les morts. Navire qui achemine les âmes et les démons, véhicule des dieux et des héros, et suivant la foi chrétienne, figure l’Eglise, l’embarcation devient la demeure de Dieu et le Christ, le guide des chrétiens.

Ce que la Bible a transmis avec la plus grande abondance au Moyen Âge, c’est toute une accumulation d’images et de symboles reposant principalement sur ces deux formes littéraires que sont la comparaison et la parabole. Celles qu’elle a élaborées sur le thème du navire face à la fureur des eaux eu la plus grande résonance. Rappelons aussi le rôle pédagogique de l’image depuis Grégoire le Grand au 6ème siècle. L’enseignement de la théologie et les actes de dévotion se faisaient d’une façon, pourrait-on dire, «cinématographique». La parole y dominait, mais la figuration y était considérable.

Quant aux scènes de déluge, elles témoignent souvent d’une grande intensité dramatique. Il y a le déluge qui détruit, le déluge dévorateur, c’est la tempête, la houle colossale, la lame scélérate qui se dresse au plus haut des sommets, barre l’horizon, avance inexorable.

Mais aussi l’intervention de Dieu pour sauver son peuple (Exode, versets 21 et 22): «Moïse étendit sa main sur la mer, et l’Éternel fit reculer la mer, toute la nuit par un vent d’est impétueux, et il mit – la mer à sec, et les eaux furent divisées. Les enfants d’Israël entrèrent au milieu de la mer, dans son lit desséché, les eaux se dressant en muraille à leur droite et à leur gauche»; avant d’engloutir les égyptiens qui étaient à leur poursuite.

Egalement le déluge qui résulte de la perversité du coeur humain. Alors Dieu constate la méchanceté et la perversité des hommes, et décide de faire tomber un déluge sur la Terre pour y détruire toute vie.

Pourtant le Déluge et ses eaux mortelles magnifie la figure du Christ triomphant de la mort, et par le même glissement d’un niveau symbolique à un autre, il exprime également le chrétien sorti régénéré par l’eau du baptême où il a été plongé.

L’arche est donc la représentation de la demeure protégée par Dieu. Sanctuaire mobile, métaphore de la présence de Dieu parmi son peuple, elle est enfin le symbole de l’Église, ouverte à tous, pour le salut du monde.

Notons qu’au Moyen Âge, l’événement calamiteux, la dévastation, la scène de la tempête, est toujours l’expression de la colère divine, l’expression d’un dessein de Dieu, d’un avertissement, et généralement, d’une punition. Mais la cause véritable, au-dessus de toutes les autres, comme l’a dit Saint Augustin, c’est la volonté de Dieu.

Toujours prête à anéantir, à submerger, cette mer incertaine, instable, pleine de monstres et de mystères, soumise aux caprices de l’air, est pour le héros un ennemi sans tête, un adversaire mythique qu’il doit vaincre pour assumer sa destinée. Imaginez une mer calme prise d’un soudain courroux. Elle gronde et rugit. Elle reçoit toutes les métaphores de la furie, tous les symboles animaux de la fureur et de la férocité. La psychologie de la colère est l’une des plus riches et des plus nuancées.

L’eau brutale est un des premiers schéma de la colère universelle. Les textes les plus descriptifs sont le récit du voyage de Saint Brendan 6ème siècle, le roman de Brut et le roman de Tristan du 12 ème siècle.

Laius familier que ce péril de mer, mais la crainte est réelle, et encore aujourd’hui, pilotes et matelots, apparaissent dans une lancinante impuissance devant le déchaînement des flots.L’eau possède une fonction ambigu elle est à la fois «eau de vie» et «eau qui tue». Elle a un pouvoir destructeur et un pouvoir sotériologique.

Je témoigne ce soir que l’eau signifie le Salut de l’âme. Que l’eau et l’amour sont conjoints. Voici un poème de Pierre de Marbeuf, écrit au XVIIème siècle. Ce texte transcende tous les temps et l’émotion intemporelle qu’il exhale résonne encore aujourd’hui:

«Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage
Et la mer est-amère, et l’amour est-amer
L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.

Celui qui craint les eaux qu’il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer,
Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

La mère de l’amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau,
Mais l’eau contre ce feu ne peut fournir des armes. Si l’eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux.»

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